Un soleil de plomb écrasait d'une lourde chaleur
les flancs de la montagne. Dans le ciel d'azur planait quelque
oiseau de proie, aigle ou faucon, et l'on entendait parfois l'écho de
son cri perçant se répercuter sur les parois de l'immense chaine de
montagne. Sur le sentier de terre sèche, Maoko menait Upo par la bride,
marchant devant lui. En effet, les chemins escarpés et pierreux de
cette partie du Monde ne convenaient pas à son destrier.
Maoko commençait à avoir chaud. Le long périple qui l'avait mené de Qeynos
jusqu'à ce sentier menant au Col de la Hâche Mordante s'était effectué
sous une chaleur écrasante. Cet été débutait de façon torride. Cela
faisait maintenant plusieurs heures qu'il marchait ainsi, depuis l'aube
pour ainsi dire, et la fatigue de la lente montée commençait à
engourdir ses muscles.
Les pensées de Maoko l'avaient mené jusqu'aux rivages de la lointaine Maj'dul, jusqu'aux verdoyants paysages du mont du billot, là où il avait passé son enfance.
Il se remémorait le vieux lac bordant la demeure du seigneur son père,
le seigneur Dargetlam. Et de l'autre côté de ce lac, l'arbre ancestral d'où venait son nom, ce saule pleureur majestueux sous lequel chaque nouveau-né de la maison Dargetlam devait voir le jour.
Puis, vagabondant sous la frondaison des arbres de la forêt, il revit le chatoiement des ruisseaux
il entendit à nouveau les cris d'oiseaux, il huma la douce
fragrance des fleurs printanières que l'on ne trouvait que dans cette région .
Puis, un bruit incongru le tira de sa douce rêverie.
D'un mouvement rapide, il tira le baton qu'il portait et fit volte-face.
Rien sur le sentier, rien aux alentours. Sur ses gardes, il essaya de
percevoir quelque chose d'anormal mais ne vit rien. Pourtant, il
sentait quelque chose...
"Baisse ton arme! Ou ta dernière vision sera celle du roc qui borde ce sentier."
Une voix caverneuse avait prononcé ces paroles d'un ton sans appel, et ce
dans la langue commune des Hauts Elfe. Une silhouette grande et
robuste, sortit du couvert d'un gros rocher. Un chasseur vêtu de cuir
clouté pointait un arc sur lui, les yeux froncés sous ses sourcils.
Maoko abaissa son long baton.
"Je ne vous veux aucun mal, ami. Baissez donc cela." dit-il dans la langue commune.
- "Pas avant que tu ne rengaines ton baton." trancha-t-il, inflexible.
Maoko fit ce que le chasseur voulait et remit son arme à sa place. Autant ne pas fâcher ce genre d'individu.
"Bien.Je ne voudrais pas souiller nos montagnes de sang. Ce serait fâcheux
pour l'entente au sein de notre peuple. On a assez à faire avec les bestioles du coin."
Le chasseur baissa son arc et approcha de Maoko en jetant quelques regards alentour.
Puis il se cala près du druide en le jaugeant d'un regard scrutateur, d'une
manière telle que tout Kerran aurait trouvé grossière.
"Je suis Shikarei chasseur de son état.
- "Maoko Dargetlam, de la maison Dargetlam. Enchanté, messire Shikarei.
- Point de messire à me donner, seuls les nobles parlent comme ça. Appelles-moi Shika.
- Comme vous voudrez... Shika."
Le chasseur inspecta sa monture comme il l'avait fait de Maoko, puis il s'essuya le front qui ruisselait de sueur. Maoko remarqua des dépouilles de
lapins accrochés à sa ceinture, il en déduisit que Shika devait être un
bon chasseur.
"Où vas-tu comme ça l'ami ? demanda Shika d'un ton sec.
- Je me rends a la forteresse près de la plage
-La bonne blague, ça je l'avais deviné. Tu tournes le dos à la ville et
cette route traverse nos montagnes pour déboucher sur le haut Feydark. Mais où ça, dans la forteresse ?
- Là où me mèneront mes pas.
- Pouah ! grogna Shika. Si tu ne veux pas me le dire, fais comme tu veux. Mais saches que cette route est dangereuse. Comme je te l'ai déjà dit, des Gnolls se terrent dans nos montagnes .
- Je ne crains pas les Gnolls.
-Je t'accompagne. Si tu tombes sur une bande de ces maudits et qu'ils te
font la peau, je ne voudrais pas qu'on pense que c'est faute de t’avoir
aidé.
- Je n'ai pas besoin de protection, je t'ai dit que...
- C'est entendu. Je passe devant."
Et ils passèrent le reste du jour à crapahuter ensemble, sans qu'aucun
d'entre eux ne dise un mot. Lorsque le soleil darda ses derniers rayons
au dessus des cimes recouvertes des neiges éternelles, Maoko et son
compagnon de voyage avaient atteint le col. Ils allumèrent un feu au
creux d'un cercle de rochers et contemplèrent le coucher de soleil en
mastiquant des morceaux de lapin cuits au feu de bois.
"Tu ne parles guère,Shika, dit enfin Maoko. Tu fais un mauvais compagnon de voyage."
Shika ne releva pas, se contentant de regarder au loin ces paysages qui lui
rappelaient c’est montagnes qu'il avait eu le loisir de parcourir il y
a fort longtemps.
"Que fais-tu donc par ici, si loin de chez toi Maoko ? "
Avait-il lu dans ses pensées ? Peu importe. Maoko jeta une nouvelle brindille dans le feu et posa les yeux sur le chasseur.
"- Je cherche quelqu'un.
- Ici ? Qui de ta connaissance peut bien venir dans cette partie du monde ?
- Ici ou ailleurs, ça n'a pas d'importance. elle peut être n'importe où, quoi qu'il en soit je dois la retrouver.
- Tu la cherches depuis longtemps ?
- Depuis une éternité."
Non loin, près de sa couche était posée Larme, le baton ancestrale de la
maison Dargetlam. Il la portait toujours sur lui, généralement dans un
fourreau de cuir accroché a son dos. Le bois gravée de runes
miroitait sous le crépitement du feu de camps et l'on pouvait
distinguer la poignée gainée de cuir blanc niellé de fils d'argent
rehaussée de la garde elle aussi en argent. Larme était sa fierté et
celle de sa maison.
Celle-ci avait été le présent de son père lorsqu'il avait appris que Maoko était appelé à quitter la maison. .
Absorbé dans la contemplation de l'arme, Maoko faillit ne pas entendre la question du chasseur. Celui-ci s'entêtait à en savoir plus.
"- Est-ce un ennemi que tu traques ainsi depuis si longtemps ? demanda-t-il.
- Non. Une amie chère, pour tout dire
"J'ai fait le tour de pas mal de régions à maintes reprises, en vain.
J'ai acquis la certitude qu’elle avait quitté Qeynos. Et c'est
ainsi que je pris la mer et débarquai sur les rivages du Vieux Monde."
"Depuis lors, je n'ai de cesse de retrouver mon amie."
Shikarei grogna un assentiment, tandis que Mako jetait un os de lapin dans le feu.
"- Mais depuis combien de temps es-tu à sa recherche ?
- Dix ans, tout au plus.
- A présent, nous devrions dormir.
- Je prends le premier quart. Dors paisiblement, l'ami."
Maoko remercia le chasseur d'un hochement de tête et s'endormit au coin du feu, Larme à portée de main.
La nuit se passa sans encombres, douce et paisible malgré l'altitude du
col. Le lendemain, les deux compagnons repartirent sur le sentier de
rocailles, descendant une pente abrupte et traitresse. Comme la montée,
la descente fut lente. Shika tira encore un ou deux lapins et Maoko
cueillit quelques baies. Ils marchèrent une journée entière côte à
côte, bavardant tranquillement. Shikarei lui raconta sa vie comme
eclaireur dans l'armée, ainsi que celle qu'il menait lors de
ses longues chasses. Maoko lui raconta ses péripéties lors de son
périple en mer, et lui raconta quelques anecdotes sur ses cousins,
qu'il venait de quitter.
Puis, au loin dans la vallée, on distingua les feux d'une ville .
"- La forteresse!!!! Ils aiment bien les Druides là-bas, mais peut-être pas les chasseurs.
Tu vas t'y arrêter pour la nuit?" demanda Shikarei
- Je ne sais pas..
-
Dans ce cas, je te conseille d'aller à la taverne. Une grande battisse à ce
qu'on dit. J'y connais un ou deux amis qui pourraient te trouver un
travail.
- Quel genre de travail ?
- Genre mercenariat."
Maoko acquiesça. Peut-être lui fallait-il trouver une activité autre que
celle d'un simple vagabond. Jamais il n'aurait cru qu'il deviendrait un
de ces hommes-là, mais il ne pouvait rentrer chez lui sans cette amie
dont lui même après toutes ces années ne savait a quoi elle
ressemblait. Encore une fois, son cœur se serra. Il aurait aimé devenir
un fier Druide, destiné à protéger sa patrie et son peuple. Mais Tunare en avaient décidé autrement. L'honneur lui interdisait de revenir
sans celle dont il avait juré de protéger la vie, quelque soit le prix,
fusse-t-il la mort.
"- Vas à la taverne de l’homme vert, si ça t'intéresse.
- J'y réfléchirais."
Maoko s'arrêta alors. Regarda au loin et donna un coup de pied dans un caillou.
"Je te laisse ici, l'ami." .
Shikarei s'inclina et regarda le Kerran dans les yeux.
"Bien. Alors... Bonne route à toi."
Maoko baissa les yeux et repartit, tirant son destrier par la bride.
Shikarei tapota le flanc de la bête en s'en retournant gravir le sentier.
Le chasseur avait fait quelques mètres lorsqu'il entendit la voix de Maoko le héler.
"Dis-donc, l'ami ! criait-il. Si un de ces jours tu reviens par ici, j'espère qu'on pourra faire un bout de chemin ensemble ! "
Shikarei sourit en se retournant.
"J'espère aussi,Maoko ! Merci à toi ! "