Je me souviens que je me levais toujours avant l'aube. J'allais prestement accomplir les tâches incontournables. J'avalais rapidement le bol froid de farine de blé cuite à l'eau que nous avions pour seule pitance. Et je me dépêchais d'aller m'asseoir en haut de la butte, face à la mer, loin du regard des gardes, qui heureusement laissaient place vide pendant quelques instants. En ce temps-là, l'enfant que j'étais rêvait de voir au-delà de l'horizon. Non pas partir, mais juste voir. Alors, je humais à pleines narines l'air marin qui portait ses senteurs de sel, de iode, mais aussi du bois que l'on devait brûler en contrebas pour chauffer un quelconque repas. Le vent d'avant le matin me caressait les joues, parfois avec la tendresse chaleureuse de l'été, parfois en me mordillant du froid hivernal, mais toujours avec la gentillesse d'un ami qui semblait dire : "Un jour, je gonflerai les voiles du bateau qui t'emmènera...". Ainsi, j'attendais ce moment bref où la pointe du soleil dépasse l'horizon et entache le ciel bleu sombre de l'orange qui semble avoir été fait avec la gouache du sable du désert. Les oiseaux, à ce moment précis, portaient leurs virgules au zénith et je voyais, ou plutôt devinais, le scintillement des poissons frisant la surface de la mer et qui allaient devenir le met principal des volatiles scrutateurs de leur déjeuner. Lorsqu'il pleuvait, ce qui ne me gênait pas, l'horizon n'était plus que l'ombre d'une ligne et les vagues furieuses, lançant leur écume bouillonnante contre les rochers, montaient à l'assaut de la pente menant au campement. Et, je me surpris quelque fois à souhaiter qu'elles emportent quelques tentes avec leurs occupants. Mais, un enfant ne songe pas à la mort. Alors, dépité, je descendais de mon refuge. Je jetais un dernier regard aux moutons du ciel qui parfois reflétaient leurs contours cotonneux dans l'eau et, partant vers le travail pénible et même les coups des gardes, je pensais déjà au prochain matin où je pourrai retrouver ce qui est resté comme le plus cher souvenir de mon enfance : ma solitude face à la mer.
Souvenirs d'un grain de sable, Tome 1 ; l'Ouverture aux Cieux