EQII Lore : Sur les plaines de Karana Partie 3!

La journée venait à peine de débuter
lorsqu'un événement vint troubler la quiétude des habitants
d'Oceangreen. Les villageois se pressèrent dans les rues afin
d'observer dans le ciel un bateau volant qui arborait une voile jaune
vif sur laquelle apparaissait une étrange créature : on aurait dit un
être mi-dragon, mi-halfelin mais il pouvait tout aussi bien s'agir d'un
halfelin déguisé en dragon. Quoi qu'il en soit, cette créature avait
troublé leur tranquillité et il était impossible de l'ignorer.

Bayle se tenait à l'avant du bateau et regardait le village
s'approcher, le regard lourd. Mise à part Eylee qui se tenait près de
lui, le reste du groupe avait pris ses distances, y compris Illisia
(surtout Illisia), dont la désapprobation lui pesait le plus.

"Ça n'a rien de personnel," dit-elle d'une voix douce.

Bayle esquissa un sourire et répondit, "Mais ça remet en question mes
capacités de chef. À vrai dire, aucun de vous ne m'a jamais demandé
d'être leur chef, peut-être devrais-je laisser la place à quelqu'un
d'autre."

"Personne ne te l'a jamais demandé," dit Eylee, "mais tu t'es naturellement imposé comme tel."

On entendit un raclement de gorge. Kaltuk s'avança et vint s'adosser
contre le flanc du bateau, entre eux deux. Ils restèrent ainsi un
moment, silencieux, observant la foule des plaines massée en dessous,
tandis que Fiddlewiz amenait le bateau suffisamment près du sol pour
dérouler les échelles à hauteur d'homme.

"Ça fait drôle de
revenir chez soi, n'est-ce pas ?" dit Kaltuk. Eylee observait Bayle.
L'homme des plaines le regarda avec surprise. "Ahh, ça crève les yeux,
mon gars. Tu as l'air de quelqu'un rattrapé par le passé. Crois-moi, je
sais de quoi je parle."Il gloussa, puis regarda Eylee. "Je pense que
nous connaissons tous ce sentiment. Sinon, nous ne serions pas ici.
Nous serions chez nous, bien au chaud, avec des amis qui ne voulaient
pas qu'on parte" Eylee rougit et baissa la tête, consciente qu'elle
était peut-être bien la seule dans ce groupe à être partie de son plein
gré.

"Ma situation est un peu différente," dit Bayle, en
regardant droit devant lui. "Je ne suis pas parti parce que j'étais en
conflit avec le dieu qui m'a abandonné, ou parce que j'ai sauvé un
prince et une princesse dont le seul crime était de s'aimer, ou encore
parce que mes propres parents me torturaient. "Ses yeux se posèrent sur
le pont du bateau. "Je suis parti parce que des innocents ont péri à
cause de ma stupidité et de mon arrogance. Mon propre mentor, le seul
homme qui ait jamais cru en moi est mort parce qu'en dépit de ses
avertissements, j'ai voulu me servir d'un puissant artéfact ancien
auquel je ne comprenais rien."

"Ahh," dit Kaltuk, en hochant la tête, "c'est en effet un bien terrible fardeau, pour quelqu'un d'aussi jeune que toi."

Bayle ricana. "Ça fait partie de l'apprentissage de la vie, c'est ça ?
Prendre des décisions qui entraînent le massacre d'innocents ?"

"Oui, c'est le cas pour bien des gens," dit Kaltuk. "Que leurs
intentions soient louables ou pas. Nous ne mesurons pas toujours
l'impact de nos actes, et même si parfois nous en sommes conscients,
c'est ainsi que les choses doivent se passer. Un roi qui conduit son
peuple à la guerre provoque le massacre d'innocents."

"C'est différent," dit Bayle.

"Peut-être," dit Kaltuk, "et peut-être pas. Nous sommes en guerre. Tu
le sais aussi bien que moi. Et si tu n'avais jamais découvert les
pouvoirs de ce bâton, beaucoup d'autres innocents auraient probablement
péri."

Bayle resta silencieux. Malgré la gravité de la
conversation, Eylee sourit car il lui semblait presque voir se dissiper
les tourments du jeune homme. "Merci Kaltuk," dit-il.

Le nain haussa les épaules et posa une main amicale sur le bras de l'homme des plaines. "On se comprend entre parias," dit-il.

Bayle se redressa tandis que le nain s'en allait, puis regarda Eylee.
Ses yeux brillaient d'un nouvel éclat et elle fut réconfortée à son
tour.

"Allons-y," dit-il.

* * *

Ils amarrèrent le bateau au centre du village
et décidèrent que, pour une fois, tout le monde descendrait. Twiddy
n'était pas très rassuré à l'idée de laisser le bateau, mais Fizzlewiz
parvint à le raisonner en lui expliquant qu'il y avait peu de chance
pour qu'un villageois réussisse à comprendre le fonctionnement du
bateau et s'en aille avec. L'halfelin fut rassuré et descendit
l'échelle avec le reste de l'équipage, avant de s'enfoncer dans la
foule de badauds.

Naturellement, Bayle avait été le premier à
descendre, et Eylee, qui fermait la marche, le perdit dans la foule.
Elle s'arrêta près de Twiddy et Fiddlewiz, tentant de se hisser sur la
pointe des pieds afin d'avoir une vue d'ensemble. Malgré les quelques
centimètres ainsi gagnés, elle n'était pas assez grande pour distinguer
quoi que ce soit. Elle jeta un coup d'œil au gnome et à l'halfelin.

Twiddy dit en riant : "Toi au moins tu peux espérer voir quelque chose.
Il faudrait que je grimpe sur les épaules de Fiddlewiz pour avoir cette
chance." Le gnome acquiesça, le son de sa voix quelque peu étouffé par
l'écharpe qu'il portait.

Eylee sourit. "Où est Bayle ?" demanda-t-elle.

Fiddlewiz désigna du doigt un coin de la foule où régnait un tumulte
couvrant en grande partie la conversation qui s'y déroulait. "On dirait
qu'il connaît du monde ici," dit Twiddy.

"Apparemment, nous sommes ici chez lui" dit Eylee, l'air inquiète.

"Oh vraiment ?" dit Twiddy. "C'est une bonne nouvelle, non ? Eylee
répondit par un long soupir. "Peut-être pas" dit Twiddy en tirant sur
son col.

"Le voilà" pépia Fiddlewiz.

La foule
s'écarta pour laisser passer Bayle accompagné d'un colosse aux cheveux
cuivrés, grisonnant aux tempes. L'homme des plaines fit un rapide signe
de la tête au groupe et Bayle le présenta : "Voici Urth, ancien membre
du clan des Haches de glace, un ancien d'Oceangreen. Il a très
généreusement accepté d'entendre notre cause."

Urth acquiesça
et leur dit, "Nous connaissons la menace que vous combattez." L'homme
des plaines jeta un coup d'œil à Bayle. "C'est une chance que vous vous
soyez arrêtés ici. Nous pensons que les hommes de l'ombre que vous
cherchez sont déjà passés dans les Plaines. Nous avons dû affronter des
gens qui étaient autrefois nos amis. Les combats sont monnaie courante
dans les terres du nord, il n'y aurait donc normalement pas lieu de
s'alarmer, mais nous étions tous venus ici pour vivre en paix". Urth
observa son auditoire, et tandis qu'il plissait les yeux, son regard
parut soudain plus marqué, lui donnant l'air plus âgé. "Mon fils est
parti chercher les anciens. Nous nous réunirons dans la salle des
anciens à midi. Bayle vous guidera. Il connaît le chemin." Le vieil
homme toisa Bayle, qui se redressa. Urth lui fit un signe de la tête
avant d'ajouter, "Nous parlerons en privé. Viens me voir dans la salle
un peu avant les autres. Nous n'avons pas oublié ton crime." Bayle
baissa la tête et acquiesça. "Mais tu as changé. Je m'en rends compte."
Urth le salua de la main et disparut dans la foule.

Bayle se
tenait devant le groupe et dit, "Nous avons deux heures devant nous.
Nous sommes en sécurité ici. Je pense que nous pouvons sans crainte
baisser la garde et nous détendre un peu." Sur ce, Bayle s'en alla,
seul. Eylee regarda dans la direction d'Illisia, qui semblait
délibérément détourner le regard pour ne pas le voir partir.

"Nous détendre ?" demanda Roadyle. "Je préfère attendre sur le bateau."
Il fit un signe de la main et commença à léviter vers le Chasse-Nuages.
On aurait pu penser que cela encouragerait les autres à faire de même,
mais seul le haut elfe semblait trouver le village dénué d'intérêt.
Même Kruzz, qui semblait très nerveux, ne lança qu'un bref regard en
direction de l'échelle et décida de rester dans le village.

Eylee regarda Illisia qui se trouvait près d'elle. La barbare soutint
son regard et lui dit : "Ça te dit de venir te promener avec moi ?"

Eylee sourit et acquiesça avec enthousiasme. Il était très rare
qu'Illisia accepte une autre compagnie que celle de Bayle. D'autres
groupes se formèrent avant de disparaître dans la foule. Nurgg et
Kaltuk se dirigèrent dans une direction. Twiddy et Fiddlewiz en
empruntèrent une autre, discutant à voix basses des améliorations
qu'ils pourraient apporter au bateau. Curieusement, Kruzz se retrouva
au centre d'un groupe d'enfants qui le regardaient avec intérêt. Le
troll semblait bien plus effrayé qu'eux et ils lui firent signe de le
suivre ; le groupe déguerpit en entraînant Kruzz qui ne manifesta
aucune résistance. Asharae se retrouva seule et Eylee lui fit signe de
venir, après avoir interrogé Illisia du regard. La barbare ne semblait
pas franchement ravie, mais haussa les épaules.

Eylee courut vers l'elfe noire et dit, "Est-ce que tu veux te joindre à nous ?"

Asharae haussa un sourcil : "Tu es trop gentille."

Eylee sourit timidement avant d'ajouter : "Tu semblais seule."

"C'était à prendre au sens propre," dit Asharae en fronçant les sourcils. Tu es trop gentille. Arrête. C'est agaçant."

Illisia rejoignit Eylee et dit : "Si la Teir'dal préfère se morfondre, libre à elle."

Asharae inclina la tête et balaya une mèche de cheveux qui lui tombait
sur le visage. "Non, je veux bien," dit Asharae d'une voix douce. Elle
eut un sourire taquin. "Si Eylee veut bien accepter mes excuses."

Eylee acquiesça et dit : "Acceptées. Mais venant de toi Asharae, je
prends cela pour de l'ironie et rien d'autre, aussi je ne te prendrai
pas au mot."

Asharae rejeta la tête en arrière et se mit à rire, "Oh ma chère, tu fais des progrès."

Tandis que les trois femmes quittaient la place, Eylee remarqua Bayle
en pleine conversation avec une femme d'âge mûr. "Alors Caldman le
boulanger est parti ? Et sa fille...?"

"Partie avec lui,"
s'excusa la femme en souriant d'un air désolé "peu de temps après...
ton départ. Peut-être un mois ou deux."

"Merci." dit Bayle avec un signe de tête.

"De rien, jeune Bayle," dit la femme de manière courtoise mais peu
assurée. "C'est un plaisir de te voir... en si bonne forme."

Bayle esquissa un sourire, puis s'éloigna d'un pas rapide. Eylee
observa à nouveau Asharae et Illisia. Elles semblaient n'avoir rien
remarqué, mais l'elfe des bois se doutait qu'Illisia avait suivi la
conversation. Si la barbare avait surpris la conversation et l'avait
interprétée de la même manière qu'Eylee, elle se serait probablement
abstenue de faire un commentaire. N'importe quelle autre femme aurait
probablement dit quelque chose, mais l'éclaireuse avait la peau dure et
n'avait pas son pareil pour contrôler ses émotions.

Illisia
jeta un regard à la jeune femme et eut un petit sourire. "Je me disais
qu'on aurait pu aller voir les chevaux," dit-elle. "Ça manque sur un
bateau. Les chevaux."

Asharae grommela en gesticulant "Ce
n'est pas mon avis. C'est une vraie corvée ces bestiaux ! Il faut les
frotter à fond pendant des heures et après on empeste le crottin !"
Elle jeta un regard aux deux autres et haussant les épaules, elle
ajouta : "Mais je le reconnais, ce sont des bêtes magnifiques, à
condition de ne pas les monter. Je vous suis."

"Je n'ai rien contre," dit Eylee.

Illisia acquiesça et les trois femmes si différentes se dirigèrent ensemble vers les écuries d'Oceangreen.

* * *

Lorsqu'elles furent de retour au sein du
groupe afin de rencontrer l'assemblée des anciens, elles semblaient
prêtes à affronter tout ce que l'avenir leur réservait. Elles avaient
passé un moment délicieux à observer et profiter de la vie quotidienne
dans toute sa simplicité : voir, sentir et entendre l'agitation du
village leur avait permis de se rendre compte que le monde n'allait pas
si mal qu'on pouvait le croire du haut du pont du Chasse-Nuages.
Pourtant, Eylee avait le pressentiment que la situation n'était pas
aussi rose à Oceangreen qu'il y paraissait. Bien que vêtus en civil,
les hommes et les femmes portaient des armes, fait plutôt étrange pour
un peuple soi-disant pacifiste, et elle remarqua ce qui ressemblait à
des traces de combat dans les champs situés aux abords de la ville. Ces
affrontements dataient probablement de deux mois, car l'herbe avait
repoussé aux endroits où les combats avaient dû se dérouler, mais on
pouvait encore voir les trous sous le vernis. Heureusement, cette
découverte n'avait pas gâché son après-midi, mais elle lui avait laissé
un goût amer, et lorsqu'un groupe d'enfants lui avait demandé de
chanter pour eux, elle avait découvert avec surprise que sa voix
tremblait presque. C'était ces mêmes enfants qui avaient entraîné Kruzz
dans leurs jeux, et à présent le troll était assis parmi eux, écoutant
avec intérêt Eylee chanter. Malgré ces moments de tranquillité, elle
sentait que des événements d'une grande violence avaient eu lieu à cet
endroit, et elle emporta ces sombres pensées avec elle dans la salle
des anciens, où elle prit place avec les autres.

Ils se
tenaient les uns à côté des autres et Eylee s'était mise au bout entre
Twiddy et Kruzz. Devant eux étaient assis sept hommes et femmes des
plaines, dont la mise fastueuse dénotait l'éminence. Urth se plaça au
centre, les bras croisés sur les cuisses.

"Asseyez-vous, je vous prie" dit Urth.


Bayle le salua de la tête et s'assit sur un tas de peaux de bêtes. Le
reste du groupe l'imita et chacun s'installa à son aise. "Tu es donc
devenu chef, Urth ?" demanda Bayle.

Urth sourit et haussa les
épaules. "En arrivant ici, nous ne voulions pas de chef, mais
uniquement un conseil. Mais il était naïf de notre part de croire que
les tâches de ce conseil se limiteraient à la gestion des travaux
agricoles et à régler les querelles foncières. Peut-être qu'au fond de
nous, nous savions déjà que ce ne serait pas le cas, mais nous
l'espérions tout de même... Lorsque nous avons compris que la guerre
nous avait poursuivis, la présence d'un chef s'est avérée nécessaire.
Je ne sais pas si je conserverai ce poste, mais pour le moment, c'est
moi qui ai été choisi."

"Tu es un homme d'une grande sagesse,
Urth," dit Bayle. "Je ne doute pas que tu aies toutes les compétences
requises. Maintenant parle-moi des combats."

Les anciens se
regardèrent. Urth se racla la gorge et raconta : "Tout a commencé avec
la disparition mystérieuse de plusieurs voyageurs. Nous avons cru
qu'ils avaient été attaqués par des bêtes sauvages, mais ces
disparitions se sont généralisées, jusqu'au jour où un homme couvert de
sang et de blessures a fait irruption dans le village. Une fois remis
sur pied, il nous a raconté ce qui s'était passé. Il s'était arrêté
pour la nuit dans un camp au nord, mais avait été attaqué pendant son
sommeil. Il avait été traîné de force devant un portail sombre, dont la
description ressemble à celle de celui qui s'est ouvert ici ; une ombre
en était sortie et s'était approchée lentement de lui. La terreur lui
donna une telle énergie qu'il réussit à se défendre et à s'enfuir. Et
malgré ses blessures, il est parvenu jusqu'à nous. Deux jours plus
tard, nous avons été attaqués par une horde d'hommes du nord, des
hommes qui avaient deux ombres et se battaient aux côtés de créatures
similaires à celles qui ont saccagé notre ville. Heureusement, nous
nous étions préparés à cette attaque. Plusieurs d'entre eux sont tombés
dans des pièges que nous avions creusés autour de la ville et d'autres
ont péri sous une pluie de lances et de flèches tirées par nos
meilleurs combattants. Nous avons perdus quelques-uns des nôtres, mais
pas autant qu'eux." Il resta silencieux un moment, les yeux rivés au
sol. "Le plus étrange et le plus terrible, c'est qu'il n'y avait pas
que des hommes et femmes en âge de se battre parmi nos agresseurs. Il y
avait aussi des enfants et des anciens, et ils se battaient tous avec
la même hargne. On aurait dit qu'ils n'avaient plus d'âme."

La consternation s'abattit sur les visiteurs. Eylee eut la nausée en imaginant ce qu'on pouvait ressentir en tuant un enfant.


"Bayle, tu as attiré le malheur sur cette ville," dit Urth, "et
beaucoup de gens sont morts. Mais aujourd'hui, nous savons que c'était
inévitable. Tu as toujours ce bâton ?

Bayle acquiesça et le
détacha, avant de le déposer sur le sol, devant lui. Tous les regards
se posèrent sur lui. "J'ai réussi à le réutiliser plusieurs fois," dit
Bayle. "À la seule différence que je m'en sers pour fermer les portails
et non pour les ouvrir. Nous avons également un autre artéfact qui nous
aide à localiser les portails. Asharae ?"

Surprise, Asharae
le regarda en fronçant légèrement les sourcils. Déliant les cordons,
elle ouvrit lentement le sac et en sortit le Scryona. Urth tendit la
main, mais Asharae sourit. Ce sourire n'était pas dénué de cruauté,
mais Eylee savait qu'il n'avait rien de malveillant. "Ne fais pas ça
l'ancien," dit-elle. "Ça pique. Ce n'est pas le nain qui dira le
contraire. C'est très puissant, crois-moi." Kaltuk n'apprécia guère le
commentaire, qui venait probablement de raviver la terrible douleur
qu'il avait ressentie en le touchant.

Urth lui fit un signe
de la tête et dit, "Il y aurait fort à dire sur les Teir'dals, mais il
est indéniable qu'ils manient redoutablement la magie, on ne peut pas
leur enlever ça. Je ne mets pas en doute ta parole jeune elfe, du moins
pas dans ce domaine."

Asharae rangea le Scryona dans son sac
d'un air satisfait et resserra solidement les cordons couleur lavande
avant de retrouver une position plus décontractée.

L'ancien
passait la main dans sa barbe. "Qu'attends-tu de nous, Bayle ?" dit-il.
"Tu es venu chercher notre aide, mais que veux-tu que nous fassions ?
Tu navigues sur un étrange bateau, accompagné de ce qui ressemble à un
groupe de combattants expérimentés. Je te reconnais, Illisia Iceheart,
Limier de Zek." Il salua Illisia de la tête.

Elle rougit
légèrement et rectifia, "Je ne suis plus Limier de Zek, Urth Iceaxe. À
présent, je suis Illisia Marrsheart, au service d'Erollisi Marr. J'ai
laissé la Princesse Unna et le Prince Erasmus dans un village près
d'ici après avoir réparé tous les torts que je leur avais causés."


Urth dit en riant doucement : "Et moi je ne m'appelle plus Urth Iceaxe,
mon enfant. Ce n'était pas une accusation, je faisais simplement
allusion à ta réputation. Limier de Zek ou Fille de Marr, Bayle a une
grande alliée en ta personne. Et je ne doute pas que vous autres êtes
tous tout aussi expérimentés. J'aimerais juste savoir en quoi notre
aide peut vous aider."

Bayle sembla réfléchir un moment à ce
qu'il allait répondre. Au bout de quelques instants, il dit :
"J'ignorais ce que j'allais découvrir ici. Nous avions une idée de
l'étendue de la menace, mais aucune information précise. Je ne peux pas
vous demander de faire plus que vous ne faites déjà, d'autant que je
sais que c'est pour fuir la guerre que vous avez émigré ici."


Urth répondit d'une voix grave aux intonations parfaites, il dit "C'est
vrai, nous nous sommes établis ici afin de mettre un terme aux
incessants bains de sang et aux querelles insignifiantes du nord, mais
nous avons grandi dans les pics gelés, et la rigueur de notre ancienne
vie nous a aguerris. En s'acclimatant à l'air doux des plaines, nos
enfants ou leurs enfants et tous ceux qui nous succéderont l'oublieront
peut-être et leur vie n'en sera que plus douce. Mais nous demeurons des
guerriers et savons encore nous battre. Je caresse l'espoir, quel que
soit le cours des événements, que nos arrières petits-enfants sauront
prendre les armes pour défendre leurs maisons et leur familles chaque
fois que ce sera nécessaire et qu'ils n'utiliseront jamais la violence
pour prouver qu'ils valent "mieux" que leurs voisins ou pour remplir
leurs coffres de trophées et de butins. C'est pour cela que nous sommes
prêts à faire ce qui est en notre pouvoir pour combattre l'ennemi, pour
défendre nos maisons et nos familles et offrir à nos descendants un
avenir où les problèmes pourront trouver une solution pacifique."


Bayle regardait Urth, l'air complètement abasourdi. Partout dans la
pièce, une profonde admiration pouvait se lire sur les visages. Eylee
resta bouche bée, complètement hypnotisée par le brillant discours du
grand homme.

"Il ne fait pas de doute que ce sont les dieux qui t'ont désigné comme chef, Urth," dit Bayle. "Je suis admiratif."

Urth ne put réprimer un sourire. "D'accord, mais n'oublie pas que je veux savoir ce que tu attends de nous, mon garçon."


Bayle se leva et en ouvrant les mains, il dit, "Nous allons faire front
commun. À présent la guerre peut vraiment commencer..."

* * *

Et
c'est ainsi que la guerre commença. Ce fut un moment décisif. Sous
l'autorité d'Urth Iceaxe, les hommes des plaines s'allièrent à nous
afin de créer un territoire qui ne pourrait plus être corrompu par le
Néant et des groupes de guerriers (de guerriers humains, comme ils se
faisaient appeler) vinrent grossir nos rangs.

Pendant
quelques temps, il avait été question qu'Urth Iceaxe devienne le
premier roi de la fédération des hommes, mais il périt sous les coups
du Néant, après avoir abattu des dizaines de monstres. Ils furent
nombreux à pleurer sa disparition, et à sa mort la place du roi resta
vacante. Je pense qu'un nouveau chef viendra un jour prochain. Ou plus
exactement, je le sais. Une fois les discussions closes et l'alliance
conclue, j'ai achevé le canto qui me tourmentait. Je l'ai ensuite
chanté à Urth et lui en ai laissé l'unique copie, car ce chant parlait
du futur qu'il avait décrit avec passion ce jour-là, dans la salle des
anciens. Il annonçait la venue d'un grand chef qui conduirait les
hommes vers l'Âge de l'illumination. A la fin du canto, il sanglotait…
comme je me confondais en excuses, il m'assura alors que ses larmes
étaient des larmes de joie et me prit dans ses bras. J'aime à penser
que cet esprit de solidarité et d'unité dont nous avons fait preuve
pour atteindre notre objectif, et ce en dépit de nos différences
fondamentales, servira de modèle à ces hommes et leur permettra de
trouver cet avenir serein. .

Ce fut une période bénie
pour nous tous, nous étions portés par le succès, même si nous savions
que cela ne durerait pas, car ainsi va la vie. .

- Eylee Zephyrswell.